Mon logo, ce héros
Six ans de travail, plus de 2500 logos représentés sans autorisations préalable… le court-métrage d'animation Logorama, Oscarisé en 2010, avait tout d'une entreprise aventureuse. C'était sans compter sur le talent et audace créative de trois réalisateurs du collectif H5 : Hervé de Crécy, François Halaux et Ludovic Houplain. Ce dernier revient sur la longue gestation de ce film de 16 minutes.
Combien de personnes ont travaillé sur ce projet. Quelle a été votre contribution ?
Ludovic Houplain : Beaucoup. Après on peut simplifier. Les personnes y ayant le plus participé sont celle de Mikros Image, Autour de Minuit, Little Minx, Addict Films et H5. Ma contribution, comme celle des deux autres réalisateurs, intervient niveau de la réalisation, du scénario et de la direction artistique.
Comment est née l'idée de Logorama ?
LH : L'idée est née juste après The Child, clip vidéo que nous avons réalisé pour Alex Gopher avec de la typographie. Avec Logorama, il s'agissait d'interpréter notre univers visuel avec des marques, et leur symbole le plus percutant : « le logotype ».
Les trois réalisateurs, de gauche à droite : Hervé de Crécy, Ludovic Houplain et François Halaux.
Couronné d’un Oscar dans la catégorie court-métrage d’animation en 2010, et d’un César en 2011, Logorama détourne près de 3000 logotypes au service d’une course-poursuite mettant en scène dans la peau du méchant le clown Ronald McDonald.
La sélection des logos a duré un an demi. Pourquoi un tel délai ?
LH : Nous avons défini les rôles des personnages, les décors... à partir d'une base de données de 45 000 logotypes, triés par dossier. Il s'agissait de trouver quel serait le meilleur casting, pour les deux sales gosses, le psychopathe, les flics, la serveuse. Un vrai rôle de casting director. Une fois les rôles attribués, nous avons dû dessiner ces logotypes sous différents angles, avant de les faire modéliser par Mikros Image, avec comme chefs de projet, Michael Nauzin et Pascal Giroud.
Y a-t-il eu de nombreuses phases de tests avant d'entamer le projet ?
LH : Au départ, en termes de rendu, nous étions partis sur des pistes trop illustratives. Nous nous étions éloignés du logotype. Nous avions perdu tout ce qui lui donne son aspect Pop Art, pour devenir un film d'étudiant en animation. Après discussion avec François et Hervé, nous nous sommes dit qu'il fallait devenir plus radical. [...] Nous sommes dans les codes des blockbusters, des films catastrophes. [...] Il fallait que les gens meurent, que les immeubles explosent et s'effondrent. Surtout s'éloigner du cliché de l'animation « sympathique ».
Du story-board au film
Les trois réalisateurs de H5 ont surtout travaillé avec Illustrator et Photoshop CS2. Les logotypes ont été modélisés en 3D à l'aide de courbes récupérées sous Illustrator et souvent extrudées
Jusqu'où avez-vous poussé le réalisme dans la modélisation des logos ?
LH : Nous ne voulions pas être dans l'interprétation, mais dans la fidélité originale des logotypes. Après, bien sûr, nous ne pouvions pas mettre de Pantone RVB. Mais sous Illustrator, il y a des équivalences dans les nuanciers. Et malgré tout, nous avions une base de données de tous ces logotypes en vectoriel EPS, nous permettant d'avoir les typographies, et le tracé, ainsi que les couleurs originales. Cela via deux biais : un site qui se nomme « Brandsoftheworld.com » et en ayant acheté aux USA une base de données « Logoart catalog ».
Avez-vous eu recours à 2 phases de layout (Rough et Final), ou bien à une seule ?
LH : Peut-être même plus. En fait à partir de l'animatic 2D, fait à partir des roughs dessinés, nous avons ensuite intégré à celle-ci des rushes de long-métrage, de blockbusters, pour déterminer les caméras et la dynamique. Ainsi pour les poursuites, nous avons pris des séquences dans l'Arme Fatale de R. Donner, ou L’Anglais de S. Soderberg. Pour les plans d'hélicoptère, nous avons alterné entre des plans de Speed et de Black Hawk Down. Une fois cet animatic référencé, nous avons fait un animatic 3D, nous permettant de placer les caméras et de déterminer les logotypes par scène.
Un pré-décor de toute la ville a été fait pendant le layout. Pour la phase finale, des quartiers de la ville très détaillés ont été réalisés par séquence.
Mikros Image a programmé des scripts de foule pour gérer le flux de la circulation sur l'autoroute. En ville, les véhicules et les piétons ont été animés à la main.
Le projet s’est étalé sur une période de cinq années
Un pré-décor de toute la ville a été fait pendant le layout. Pour la phase finale, des quartiers de la ville très détaillés ont été réalisés par séquence.
L'association des logos était-elle facile à mettre en œuvre ?
LH : Oui, c'était plutôt l'un des aspects les plus drôles de la fabrication du film, créer des associations improbables entre des marques comme équiper Ronald McDonald avec une mitrailleuse issue du logotype des Fractions Armées Rouges. En fait, c'est un jeu de Lego, mis entre les mains de sales gamins, ayant envie de faire un pied de nez au capitalisme et ses règles. Parfois, certains logotypes ne marchaient pas en réduction, ou en gros plan, alors nous changions de casting.
Y a-t-il des logos que vous appréciez pour leur qualité graphique, mais que vous n'avez pu intégrer dans le film ?
LH : Le logotype des « Rolling Stone », lorsque les lettres Hollywood s'effondrent. Là, c'est parce que nous n'étions pas consensuels tous les trois. Sinon, certains plans de fin, qui ont été composés, avec les logotypes Moulinex, Zodiac, VW... Mais là nous avions un film à livrer à Cannes, et le timing ne pouvait plus être étendu. D'ailleurs, une scène a été supprimée, ou l'action se passait chez la mère de Ronald McDonald, Mamie Nova. Et dans son intérieur il y avait le chien Pathé Marconi, le logotype Newman et Uncle Ben's.
François Alaux a déclaré que « chaque pays ayant ses propres codes culturels et rapports aux marques, chacun aura sa vision du film. » Quelle est la vôtre ?
LH : C'est un manifeste en faveur de la liberté d'expression. Pour moi, aucune marque ne devrait censurer un objet artistique, même si elles sont représentées, malaxées, maltraitées, associées. C'est la continuité de la démarche Pop Art d'Andy Warhol, mais avec des outils et des médias de notre époque. Ensuite c'est un polaroid de notre époque, un instantané « artistique » de notre monde globalisé et surmarketé. Ce film parle à tout le monde puisqu'il utilise des codes de la mondialisation. Et ce n'est pas un film anti-américain ou altermondialiste.
Les archives monumentales constituées par Ludovic Houplain forment la base de cet ouvrage de référence qui présente environ 7 000 logotypes classés par ordre alphabétique, accompagnés d’informations sur leurs créateurs, année de création, pays, marque et entreprise.
Quel est votre logo préféré?
LH : WWF, parce qu'il est fort, identifiable et sympathique. Sans tomber dans la niaiserie que pourrait engendrer le sujet.
Quel est votre prochain projet ?
LH : Je n'aime pas trop parler des projets en amont. Je peux juste vous dire qu'il y en a plusieurs sur lequel H5 travaille, que ce soit dans le court-métrage ou pour des expositions artistiques. Il n'y aura pas de « Logorama 2 ». Et on va essayer de continuer à bousculer les règles. H5 Studio de design graphique
Copyright D.R.
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Pour voir Logorama, c'est ici !