DC Comics tourne une page
Âgée de plus 80 ans, DC Comics est une vieille dame encore pleine de vigueur. Pour preuve, elle vient encore de changer d’identité visuelle pour se refaire une jeunesse à l’ère des médias numériques.
DC Comics a vu le jour en février 1935 sous l’impulsion de Major Malcolm Wheeler- Nicholson avec l’édition du numéro 1 de New Fun. C’est alors le premier magazine exclusivement composé de planches originales, à une époque où les BD n’existent que sous forme de comics strips dans les journaux. Et c’est en juin 1938 que Superman effectue son premier vol dans Action Comics #1. L’usine à super-héros venait de naître. De quoi faire vivre de façon durable des générations de dessinateurs et, plus tard, des acteurs pointant aux alcooliques anonymes.
DC, c’est également un nombre incroyable d’artistes de talent qui, au cours des années, ont pu donner vie aux créations issues de leur imagination fertile : Joe Schuster et Bob Kane du côté des cofondateurs, à qui l’on doit les premières couvertures de Detective Comics, dont DC tire son nom. N’oublions pas non plus des illustrateurs de légende tels que Steve Ditko ou Frank Miller.
Une histoire graphique
DC a toujours accordé de l’importance à son identité visuelle. Voici les étapes marquantes de son évolution.
1940
DC a vu le jour en 1935, mais ce n’est qu’en mars 1940 que les publications arborent le logo sur lequel est inscrit « A DC Publication ». DC fait référence à Detective Comics.
1949
Le logo est modifié en novembre 1949 pour incorporer le nom formel de l’éditeur : National Comics, Inc. Ce logo sera repris dans les années 60 pour Johnny DC, la mascotte de DC.
1970
Le logo circulaire fut temporairement retiré en octobre 1970 à la faveur d’un simple DC dans un rectangle accompagné du super-héros, comme ici « DC Superman ».
1976
Fin 1976, le designer graphique Milton Glaser conçoit un nouveau logo. Communément appelée
« DC bullet », cette identité fit son apparition sur les comics en février 1977.
2005
« DC spin », a été conçu par Josh Beatman de Brainchild Studios. Apparu en juin 2005 sur le comic DC Special : The Return of Donna Troy #1, il fut également utilisé pour le film Batman Begins, les séries TV (Smallville et Justice League Unlimited) ainsi que pour les figurines.
2012
Rupture graphique totale : l’image de la lettre D se décollant pour révéler la lettre C joue sur le concept de la dualité : le Bien contre le Mal, une thématique omniprésente dans l’univers DC.
2016
Retour aux fondamentaux. Le nouveau logo, héritier d’une évolution longue de plus de 80 ans, s’adapte aux différentes plateformes digitales tout en ne reniant pas ses origines.
Une marque en évolution constante
Au cours de son glorieux passé, l’éditeur a changé son identité visuelle à plusieurs reprises, provoquant à chaque fois les réactions les plus extrêmes de ses fans. La dernière mise à jour remonte à mars 2012. Elle est l’œuvre d’une équipe d’une dizaine de personnes au sein du studio Landor Associates situé à San Francisco, qui a planché sur ce projet pendant 6 mois avec un premier brief en août 2011. Ce dernier imposait une certaine flexibilité afin de pouvoir l’adapter à toutes les propriétés intellectuelles et filiales de DC Entertainment. Fondé il y a un peu plus de deux ans, DC Entertainment traduit la volonté de Warner Brothers, à qui appartiennent les droits de DC Comics, de déployer toute la richesse de leur portfolio de super-héros et de leurs histoires.
« Cette idée est à la base de la genèse de la nouvelle identité de marque », confirme Amit Desai, le vice-président marketing de DC Entertainment. « Nous avions une assez bonne idée de ce que nous voulions accomplir dans cet exercice, poursuit-il, et cela se reflétait assez bien dans le brief que nous avons délivré à l’équipe de Landor. » Ce brief se décomposait en quatre éléments clés. Premièrement, il fallait que la nouvelle identité soit la courroie de transmission de DC Entertainment pour exploiter la richesse de son portfolio, avec des propriétés telles que Superman, Batman, Green Lantern, Sandman ou encore Watchmen. Le second consistait à établir une stratégie de marque plus formelle, à même de créer une nouvelle relation entre la société et ses trois filiales que sont DC Comics, Vertigo et MAD. Le troisième objet de la refonte est qu’il fallait que le nouveau design, quel qu’il soit, permette à DC Entertainment de se diversifier sur de nouveaux segments comme les terminaux mobiles, et qu’il puisse fonctionner efficacement sur tous les types de médias. Et en dernier lieu, il a été demandé à Landor de fournir une approche cohérente à cette diversification.
La police de Gotham
La nouvelle police de caractères provient, cela ne s’invente pas, de la famille Gotham. « Elle possède un grand sens de la géométrie et est assez moderne », déclare Nicolas Aparicio, le directeur créatif de Landor, studio responsable de la nouvelle identité. « Elle complète aussi les angles et la douceur de la lettre C. Nous avons envisagé de nombreuses fonts, mais seule Gotham offrait à la fois la force et la clarté que nous cherchions. Elle a aussi pour avantage de fonctionner à petite échelle et ne cannibalise pas l’identité visuelle ».
L’équipe de Landor a recouru à Photoshop, Illustrator, After Effects et Flash pour créer cette nouvelle identité.
Il n’y a pas que le print qui compte
Directeur créatif chez Landor depuis 1986, Nicolas Aparicio a débuté sa carrière auprès de Lukasiewicz Design à New York où il travaillait sur le branding de marques de cosmétiques. « Si on prend un peu de recul pour contempler l’histoire de la marque DC, on s’aperçoit qu’il y a toujours eu jusqu’ici une approche monolithique et iconique très forte, explique-t-il. Avec cette nouvelle identité, nous marchions sur des œufs, car d’un côté il fallait qu’elle soit forte, compte tenu de son histoire très riche, et d’un autre côté il était également important de créer quelque chose qui soit adapté aux nouveaux modes de consommation de notre ère numérique. »
Les diverses itérations du logo s’appliquent aux nombreuses propriétés de DC qui vont du blockbuster The Dark Knight Rises jusqu’aux applications mobiles mettant en scène The Green Lantern.
L’autre challenge était de produire une identité à la maison mère (DC Entertainment) tout en laissant la possibilité aux différentes filiales et marques de se différencier. Il a également fallu procéder à une recherche intensive d’ordre juridique afin de s’assurer qu’il ne s’agissait pas d’une identité déjà créée par quelqu’un d’autre. Ce qui n’a pas empêché certains de faire un troublant rapprochement du nouveau logo avec celui de la chaîne Discovery History créée au début 2012 par le studio britannique Peter&Tom.
« Cette identité est vraiment faite pour l’ère numérique grâce à sa capacité d’évolution et d’interaction », souligne-t-on chez Landor. De quoi envisager l’avenir avec confiance !
Ne pas décevoir les fans
Une des premières tâches, selon Nicolas Aparicio, a consisté à appréhender les attentes des fans, les clients de la première heure, afin de ne pas les décevoir : « Une des principales barrières que nous avons fait tomber très tôt au cours du projet était la perception qu’inspirait DC auprès du public. Nous avions quelques lecteurs assidus parmi notre équipe qui l’ont très bien compris. Notre responsable stratégie adore les comics, et l’avoir au sein de notre équipe nous a beaucoup aidés. » Le marché des comics DC est en bonne santé et continue de croître, merci pour lui. Mais la marque s’est désormais développée bien au-delà du print. « Cela nous oblige à considérer à la fois ce que la marque a représenté, et ce qu’elle peut devenir, poursuit Nicolas Aparicio. Il fallait aussi nous éloigner du schéma usuel du comics et des pages imprimées. Nous devions appréhender les personnages et leur pérennité dans le monde numérique. » Il a donc fallu procéder à une petite révolution culturelle en surmontant l’association automatique de DC avec l’édition de comics sur papier. Un subtil équilibre que l’équipe de Landor s’est efforcée d’atteindre en créant une identité recélant un élément de surprise et de mystère, à l’image des scénarii maison qui enchantent depuis plus de 80 ans les lecteurs du monde entier.
« Nous voulions que le logo soit à l’image du logo FedEx : certaines personnes perçoivent la flèche, d’autres non. Nous voulions obtenir cette magie », déclare Amit Desai. C’est ainsi que le concept d’identité « vivante » est né. Les designers ont donc très vite accouché de nombreux concepts sur Photoshop en tentant de déterminer comment ils pouvaient faire évoluer la marque et en réfléchissant à son adaptabilité. « Ici, nous avons fait un peu machine arrière, explique Nicolas Aparicio, en nous attardant en premier sur l’apparence avant de revenir plus tard sur l’identité. Cela nous a permis de conserver un certain degré de flexibilité. » L’équipe de Landor souhaitait par ailleurs créer un graphique qui puisse être transcendé par les applications sur les terminaux mobiles. Le logo ne fait pas seulement référence à l’héritage de DC et à ses comics, mais symbolise également la nouvelle stratégie qu’emprunte la marque dans une variété de médias. « Dès le début, DC nous a décrit la façon dont leurs personnages définissaient la marque. Cela a été une grande source d’inspiration, reconnaît Aparicio. Il nous fallait mettre au point une identité qui les représente tous, tout en laissant la possibilité de s’adapter à leurs caractéristiques propres afin de les représenter individuellement.» De ce fait, le nouveau logo comporte un aspect narratif qui permet de mettre en avant l’identité de chaque super-héros.
L’antagonisme en héritage
Le combat du Bien contre le Mal est un thème récurrent chez DC. Il existe toujours une dualité chez les super-héros : Superman se cache derrière les lunettes de Clark Kent et Batman apparaît à la ville sous les traits du milliardaire caritatif Bruce Wayne.
« Chaque histoire possède toujours deux versions, c’est un concept très fort que nous avons cherché à retranscrire, remarque Aparicio. Lorsque nous avons réfléchi à l’apparence du logo, nous avons remarqué que la géométrie des lettres D et C nous permettrait de véhiculer ce concept. C’est à partir de là que l’identité a pu ensuite évoluer avec cette idée du coin de page que l’on tourne pour révéler la suite de l’histoire, mais aussi ce qui est caché. Nous n’avons pas créé un monogramme, mais un symbole. On ne voit pas complètement la lettre D, et derrière on devine la lettre C. Cela offre aussi la possibilité de traiter chaque personnage au sein de l’univers DC. » De ce fait, le nouveau logo comporte un aspect narratif qui permet de mettre en avant l’identité de chaque super-héros. Cela passe d’abord par un code couleur : rouge pour Flash, bleu pour Superman, vert pour Green Lantern ou encore noir pour Batman.
Au final, ce ne sont pas moins de 15 variations de logos que Landor a mis au point pour représenter toute la richesse du portfolio de super-héros. « C’est quelque chose que nous pouvons encore développer ultérieurement », précise Nicolas Aparicio.
Le logo issu du studio Landor Associates fonctionne aussi bien en print qu’en numérique, sans s’aliéner ses fans les plus loyaux.
Le glorieux passé de DC Comics comprend trois grandes étapes : l’âge d’or (1939-50), l’âge d’argent (1950-70) et enfin l’âge de bronze (1970-80)
La lettre C, l’élément révélateur, arbore aussi diverses textures représentatives de chaque univers. Par ailleurs le bleu « DC » est devenu la signature couleur du groupe. Elle représente la marque dans toutes les communications et les partenariats. C’est la couleur par défaut qui s’impose dans les contextes où se retrouvent plusieurs super-héros par exemple.
Promesse d’évolutions futures
Tout aussi important, du moins du point de vue d’une multinationale telle que DC Entertainment, était l’assentiment des actionnaires. Au pays de l’Oncle Sam, on ne prend pas ces choses à la légère ! « Nous avons pris toutes les précautions pour nous assurer de leur soutien à toutes les étapes du processus de création. Que cela soit sous un angle stratégique, du design ou encore exécutif », ajoute Amit Desai. De leur côté, les créatifs de Landor ont rapidement été rassurés devant l’adhésion massive que le logo a suscité à l’occasion des divers focus groups auxquels il a été soumis. « Il a reçu des scores exceptionnellement élevés pour son attrait et pour les valeurs qu’il incarne telles que l’optimisme, l’héroïsme, la force et la confiance en soi, confirme Amit Desai. À l’opposé, les qualificatifs de confus et d’ennuyeux ont récolté des notes très basses ». « Cela fait plus de 25 ans que je suis dans ce milieu et ce projet me rappelle qu’un excellent travail ne demande pas seulement de remarquables designers, mais aussi un très bon client. DC nous a beaucoup poussé, mais nous a également laissé une grande marge de liberté. Il ne s’agit pas simplement d’un logo dans un coin. C’est un élément qui devrait continuer à renforcer les valeurs fondamentales de DC Entertainment. C’est une marque qui n’aura pas besoin de se réinventer parce qu’elle continuera à se transformer et à évoluer sans cesse », conclut Nicolas Aparicio.
Une somme encyclopédique
Si vous êtes un fan inconditionnel de DC Comics, il n’est plus beau cadeau que cette somme de 720 pages éditée chez Taschen. D’un format XL, cette véritable encyclopédie retrace le parcours de ce qui était considéré au départ comme une publication éphémère réservée aux enfants. Agrémenté de plus de 2 000 images (couvertures, illustrations, photographies, images de films et objets de collection), l’ouvrage est aussi une mine d’informations grâce à la collaboration du vétéran Paul Levitz, avec ses 35 ans de maison.
Une nouvelle ère pour DC
Dévoilée le 25 mai 2016 à l’occasion de la publication du premier opus de « DC Universe : Rebirth Special » par Geoff Johns, la dernière identité visuelle en date de DC Comics annonce une nouvelle ère. « Bien que les Comics constituent toujours le cœur de notre activité, la marque a évolué afin de poursuivre sa course au travers de différentes formes de média », affirme Amit Desai, le Senior Vice- Président du Marketing. Fruit de la collaboration avec Pentagram, l’une des plus importantes agences de design au monde, le nouveau logo mêle les valeurs traditionnelles à une esthétique plus contemporaine. Sa versatilité permet de le décliner sur les sites Internet, les réseaux sociaux, les webseries, les applications ainsi que sur tous les produits dérivés.
